Manger dans une ville de la forêt amazonienne: une complémentarité homme/femme en mutation

Esther Katz

Institut de Recherche pour le Développement, UMR 208 PALOC IRD/MNHN

En Amazonie brésilienne, environ 70% des habitants vivent aujourd’hui en ville. Depuis 30 ans, non seulement les grandes villes, mais aussi des petites localités ont vu leur population augmenter de manière exponentielle. Tel est le cas de la petite ville de Santa Isabel (7000 habitants), située au bord du Rio Negro, à 600 km en amont de Manaus. Des Amérindiens d’environ vingt ethnies principalement Arawak et Tukano y résident, en plus de Nordestins et descendants de commerçants portugais. Une partie des habitants pratique encore, autour de la ville, la pêche et l’agriculture, les deux principales activités traditionnelles de subsistance, le système alimentaire reposant sur une grande diversité de poissons et de plantes cultivées, dont le manioc. Traditionnellement, dans ces sociétés claniques patrilinéaires et patrilocales, les femmes pratiquent l’agriculture, les hommes préparent l’abattis, aident à certaines tâches agricoles, pêchent, chassent et fabriquent les ustensiles culinaires en vannerie.  En ville, une partie des habitants a un emploi salarié, ce qui limite leur participation à ces activités, et tous n’ont pas eu accès au foncier.

Avec l’augmentation de la population, les ressources halieutiques se sont taries autour de la ville. Les pêcheurs doivent aller plus loin pour obtenir des prises, si bien que la pêche tend à se professionnaliser.  Les jeunes sont de moins en moins attirés par le dur labeur de leurs parents. La production agricole dépend en grande partie de femmes âgées, qui sollicitent l’aide de membres de leur famille pour certaines tâches, notamment pour l’élaboration de la farine de manioc. La complémentarité des rôles homme/femme tend à s’émousser quand les couples ne se dédient plus aux activités de subsistance. Quant aux familles dont les membres ne se livrent pas à ces activités, elles se nourrissent plus d’aliments industrialisés.  Au sein du foyer, les femmes conservent leur rôle de cuisinières, mais en perdant des savoirs sur la diversité agricole, elles perdent aussi des savoirs culinaires qui y sont associés. 

Dessin Amazonie